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Quel rôle l’intégration régionale joue-t-elle dans la stabilité globale du continent ?

L’intégration est essentielle pour le développement de l’Afrique. En effet, l’intégration régionale contribue à renforcer les échanges intrarégionaux, favorise la convergence macroéconomique entre pays membres et crée une dynamique interne de croissance, moins vulnérable aux chocs externes. Elle constitue ainsi un levier important pour la diversification de la production, le développement des chaînes de valeur régionales et l’accroissement de la production qui permettra de créer plus de richesse, d’emplois et donc de réduire la pauvreté. L’intégration régionale demeure également un facteur de stabilité politique et sécuritaire dans une Afrique fragilisée par des troubles politiques et sociaux.

Le développement durable est-il réalisable en Afrique, là où des millions de personnes affrontent des problématiques de survie ?

Les changements climatiques impactent déjà les économies africaines : pour preuve les récentes inondations enregistrées au Mozambique, la baisse de la production cacaoyère notée au Ghana et en Côte d’Ivoire, l’avancée de la mer au Sénégal, la baisse pluviométrique et la fréquence des sécheresses sont autant de facteurs qui rappellent que la prise en charge des questions environnementales demeure une priorité pour l’Afrique. La problématique est de savoir quelle politique mettre en œuvre pour permettre aux populations africaines qui vivent pour l’essentiel de l’exploitation des ressources naturelles de satisfaire leurs besoins vitaux à travers une exploitation rationnelle et durable des ressources.

Selon vous, quels aspects de l’intégration régionale auront l’impact le plus pertinent et le plus puissant sur le développement ?

Quelques aspects de l’intégration régionale à fort potentiel pour le développement de l’Afrique : 

  • le trading efficace d’électricité pour bien optimiser les ressources énergétiques en permettant l’installation de grosses centrales électriques ;
  • le développement d’infrastructures transfrontalières pour rendre les déplacements plus fluides et plus faciles ;
  • la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux, à travers la création d’un marché commun continental ;
  • l’harmonisation des politiques sectorielles, notamment dans les domaines agricoles, environnementaux, miniers, énergétiques ;
  • la création de grands centres régionaux en recherche et développement pour la promotion de l’innovation ;
  • la mise sur pied d’une force régionale de défense pour la stabilité et le maintien de la paix, etc.

Quels défis pose la création d’un marché africain intégré ? Que doivent faire les institutions et les gouvernements africains pour y répondre ?

La création d’un marché africain intégré pose un certain nombre de défis, dont notamment la mise en œuvre des accords signés, les fortes disparités notées entre les économies africaines, le déficit important d’infrastructures transfrontalières, le manque de capacités financières pour faire face aux coûts d’ajustements en rapport avec les pertes de recettes et de revenus, l’ampleur du secteur informel, la faiblesse du tissu industriel pour la plupart des pays africains, la faiblesse des secteurs financiers africains et leur manque d’intégration, ainsi que la multiplicité des accords commerciaux avec les partenaires occidentaux. Pour relever ces défis, les institutions et les gouvernements doivent mettre l’accent sur :

  • la mise en œuvre des accords signés ;
  • l’harmonisation des cadres réglementaires ;
  • le financement des infrastructures avec un recours aux instruments innovants (financement mixte, PPP, capital-développement, stratégies d’atténuation des risques, etc.) et de nouvelles institutions de financement ;
  • le renforcement des capacités des administrations dans la préparation, le développement, le montage et la structuration de financements innovants équitables ;
  • la suppression des barrières non tarifaires à travers des mesures de facilitation du commerce ;
  • la formation de ressources humaines de qualité pour faire face à l’insuffisance de la main-d’œuvre qualifiée et la promotion de la recherche-développement et de l’innovation technologique,
  • la facilitation de la mobilité des personnes en supprimant les visas ou en instituant le visa à l’arrivée.

Quels enseignements le continent africain peut-il tirer de l’expérience européenne au regard de l’intégration régionale ?

L’intégration a permis à l’Europe de parler d’une seule voix, ce qui en fait un acteur fort et respecté dans les négociations internationales. Elle lui a aussi permis d’agrandir et d’unifier son marché intérieur pour en faire un grand marché de consommation et de production. Le commerce intraeuropéen est l’un des plus importants au monde (70 %) contre 12-13 % pour l’Afrique. C’est également un formidable espace de solidarité qui a permis de sortir du sous-développement des pays comme le Portugal, la Grèce, l’Espagne grâce à des mécanismes d’appui et d’aide tels que les fonds structurels. C’est un espace de liberté (espace Schengen), de stabilité et de démocratie.

L’intégration régionale pose les bases de la prospérité de l’Afrique. Quelles autres composantes faut-il mettre en place pour une nouvelle trajectoire économique ?

Pour transformer l’Afrique en un continent prospère, le continent doit d’abord gagner la révolution énergétique par l’accès des ménages et des entreprises à une énergie moins chère. Le continent devra aussi gagner le pari de la révolution industrielle. Transformer les énormes potentialités agricoles, minières, énergétiques sur le continent permettra d’ajouter de la valeur et tirer bénéfice du commerce. Le continent devra également assurer sa révolution verte : le continent africain est très vulnérable aux changements climatiques observés actuellement, il n’a pas les mêmes capacités de résilience que les autres continents. L’accent doit donc être mis sur la promotion d’une croissance économique verte supposée respectueuse de l’environnement et rationalisant les ressources. Elle doit aussi promouvoir l’utilisation des technologies vertes. Enfin, l’Afrique devra gagner le défi de la révolution numérique : l’expansion rapide de l’économie numérique constitue aujourd’hui une formidable aubaine pour le développement économique et social de l’Afrique en ce qu’elle ouvre la voie à des marchés mondiaux jusqu’ici inaccessibles, accroît la capacité de production, abaisse les frais des entreprises et stimule la créativité et l’innovation.

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